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Cour Suprême : Lettre ouverte du magistrat Guissé au Président de la Transition

Cour Suprême : Lettre ouverte du magistrat Guissé au Président de la Transition

A Son Excellence Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Objet: Dénonciation d’abus de pouvoir, d’injustice, de violation de la loi et d’interprétation erronée du pouvoir discrétionnaire.

Excellence Monsieur le Président,

En mars 2023, j’ai fortuitement appris du personnel d’appui de la Cour Suprême, sans y accorder du crédit, que j’allais être « discrètement chassé de la Cour par le président de la Cour Suprême, M. Fatoma Théra, avec l’aide du procureur général de la Cour, M. Mamoudou Timbo, lui aussi appuyé par son ami et ancien collaborateur de Mopti, le colonel Modibo Koné, actuel directeur de la Sécurité d’Etat ».

Plus tard, le jeudi 13 avril 2023, le président de la Cour, Monsieur Fatoma Théra, m’a invité dans son bureau pour me notifier qu’il compte faire nommer un nouveau secrétaire général à ma place et me redéployer comme avocat général ou conseiller à la même Cour.

A ma demande de savoir ce qu’il me reproche, il me répondit qu’il ne me reproche rien. Sur mon insistance pour savoir si j’ai commis une faute, si je suis incompétent ou si je ne suis pas dévoué au travail de la Cour, il me répondit encore qu’il ne me reproche rien; qu’il souhaite, en vertu de son pouvoir discrétionnaire de président, me relever de ma fonction de secrétaire général de la Cour et me redéployer comme avocat général ou conseiller. Je lui ai fait savoir que cela constituerait pour moi une rétrogradation ; mais il n’a rien voulu comprendre.

Excellence Monsieur le Président,

Je suis un magistrat qui a toujours servi avec dévouement la Justice du Mali, avec de longues journées de travail commençant avant 7 heures du matin, tel que vérifiable partout où j’ai exercé. Je ne peux, en principe, refuser de me soumettre à la mobilité professionnelle.

Cependant, veuillez me permettre de porter à votre haute attention que la Cour Suprême est une institution qui a des attributions juridictionnelles, dont les membres sont nommés pour un mandat de 5 (cinq) ans bien encadré par la loi 046 n° 2016-046 du 23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle. Ainsi, à la différence des secrétaires généraux des autres institutions, dont la nomination est souvent politique ou circonstancielle, le secrétaire général de la Cour Suprême, s’il est un magistrat professionnel, comme c’est mon cas, est soumis à un plan de carrière régi par la loi organique susvisée.

La proposition de décision du président de la Cour me concernant, si elle est entérinée, violerait plusieurs dispositions de la loi organique régissant la Cour Suprême. C’est pourquoi, je souhaite attirer votre haute attention sur les irrégularités légales de forme et de fond qui en découleraient.

IRREGULARITES DE FORME

Toutes les décisions importantes de la Cour Suprême sont prises en réunion de Bureau de la Cour Suprême, présidé par le président de la Cour et comprenant le vice-président, le procureur général, les présidents de sections, le premier avocat général, le premier rapporteur public, le secrétaire général, le greffier en chef, responsable du greffe de la Cour. Le secrétaire Général est chargé d’exécuter les délibérations du Bureau de la Cour.

En l’espèce, la proposition du président de la Cour Suprême me concernant aurait dû être transmise, accompagnée d’une délibération du Bureau de la Cour Suprême, à Monsieur le Ministre en charge la Justice, porteur du dossier, pour appréciation et, au besoin, saisine de l’autorité de nomination, le président de la Transition, lequel n’est nullement lié par la délibération du Bureau de la Cour et la proposition de son président.

Ceci s’explique par la gravité et la portée de cette décision sur la carrière même du secrétaire général que je suis, qui pourrait se retrouver injustement rétrogradé, et par la perturbation temporaire du fonctionnement de la Cour qui pourrait en résulter.

A ce jour, le Bureau de la Cour Suprême n’a jamais été informé de la proposition du président de la Cour me concernant. Le Bureau de la Cour n’a jamais été saisi de la proposition du président de la Cour me concernant. A ce jour, le Bureau de la Cour n’a jamais délibéré sur ladite proposition me concernant, étant entendu que le président de la Transition n’est pas lié par cette délibération.

Il est extrêmement important de rappeler que c’est cette même irrégularité qui a été volontairement commise par le président Fatoma Théra dans la procédure de prorogation de sa retraite. A ce jour, ni le Bureau de la Cour Suprême, dont je suis le secrétaire de séance, ni les autres membres de la Cour, n’ont été informés de l’existence de cette procédure ; d’où la réticence des membres de la Cour. En outre, à ce jour, le Bureau de la Cour Suprême et les autres membres de la Cour ignorent tout du prétendu « avis de la Cour Suprême » qui a motivé et justifié l’ordonnance du président de la Transition portant prorogation de l’âge de la retraite concernant le président et le procureur général de la Cour Suprême ; d’où leur réticence, parce que l’argument de déficit de magistrats à la Cour exposé dans l’avis irrégulier de la Cour n’est pas fondé. A l’époque, il y’avait 80 (quatre-vingt) magistrats opérationnels à la Cour Suprême. 

Cet exemple et bien d’autres comme la proposition me concernant prouvent à suffisance que les textes sont régulièrement foulés au pied à des fins personnelles.

IRREGULARITES DE  FOND :

              Sur la proposition de cessation de ma fonction de secrétaire général (membre de la Cour Suprême) :

Le mandat et la fin du mandat de membres de la Cour Suprême sont légalement bien précisés par la loi organique susmentionnée.

Mandat des membres de la Cour Suprême :

L’article 5 de la loi organique régissant le Cour Suprême dispose : « Les membres de la Cour Suprême sont nommés par décret pris en Conseil des Ministres pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable. »

En l’espèce, je suis membre de la Cour Suprême et sers actuellement en qualité de secrétaire général. J’ai exercé mon premier mandat de 5 ans de juillet 2017 (date de ma nomination à la Cour) à juillet 2022.  Mon actuel mandat de 5 ans, commencé en juillet 2022, expirera en juillet 2027.

Fin de mandat des membres de la Cour Suprême:

D’une part, l’article 8 de la loi organique régissant le Cour Suprême dispose :

« : La cessation définitive de fonction d’un membre de la Cour Suprême entraînant la perte de qualité de membre résulte :

– de la démission régulièrement acceptée ;

– de l’admission à la retraite par limite d’âge ;

– du décès ;

– d’une nouvelle affectation ;

– de l’arrivée du terme et du non renouvellement du mandat. »

En l’espèce, je n’ai ni démissionné, ni fait valoir mes droits à la retraite. N’étant également ni décédé, ni affecté ailleurs, ce qui requiert toujours mon consentement préalable, mon nouveau mandat de 5 ans suit son cours normal jusqu’en juillet 2027.

D’autre part, au-delà de ces cas énumérés à l’article 8, la cessation définitive de fonction d’un membre de la Cour peut intervenir en cas de faute grave retenue contre lui en application du statut de la magistrature.

En l’espèce, je n’ai commis aucune faute, tel qu’avoué par le président lui-même, et vérifiable auprès des magistrats et du personnel d’appui de la Cour qui m’apprécient tous pour les nombreux changements positifs opérés à la Cour de ma nomination à maintenant. Je n’ai jamais reçu du président Théra le moindre avertissement verbal ou écrit, encore moins une demande d’explication.

De l’analyse combinée de ma situation professionnelle actuelle et des articles 5 et 8 de la loi organique régissant la Cour Suprême avec le statut de la magistrature, il ne saurait, en principe, être mettre mis fin à ma fonction de secrétaire général, membre de la Cour, avant juillet 2027.

Sur le pouvoir discrétionnaire du président de la Cour Suprême :

La notion de pouvoir discrétionnaire s’applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d’options à l’intérieur des limites imposées par la Loi. Le pouvoir discrétionnaire n’est donc point synonyme d’arbitraire ou de violation de la loi.

A l’analyse de la loi organique régissant la Cour Suprême, le pouvoir discrétionnaire du président de la Cour est annoncé comme suit à l’article 17 al 1er de la loi organique qui dispose : « Le Président de la Cour Suprême prend toute décision nécessaire à la bonne marche de l’institution. »

Le contenu de ce pouvoir discrétionnaire du président de la Cour est annoncé aux alinéas 2 à 6 de cet article 17 :

« Il préside, quand il le juge nécessaire, toute formation juridictionnelle de la Cour.

Il préside l’assemblée générale consultative.

Il peut, le Bureau entendu, affecter les membres de la Cour n’appartenant pas au Parquet Général entre les Sections, puis entre les Chambres de la Cour Suprême, ainsi qu’au service de documentation, de recherche et d’études.

Il peut, pour assurer la bonne marche de la Cour, affecter provisoirement un conseiller d’une section à une autre section, ou un même conseiller à plusieurs formations juridictionnelles. Il peut aussi affecter un conseiller d’une Chambre à une autre au sein de la même section sur avis du président de la section.

Il peut requérir le concours de tout magistrat ou de toute personne ressource pour l’accomplissement d’une mission déterminée ».

A l’analyse de cette disposition légale organique, le pouvoir discrétionnaire du président de la Cour Suprême ne vaut qu’en matière d’affectation et de réaffectation internes concernant les conseillers de la Cour entre les sections, chambres et le service de documentation, de recherche et d’études ; ainsi que l’accomplissement par tout magistrat d’une mission déterminée. Ce pouvoir discrétionnaire du président ne concerne donc pas le redéploiement des membres du parquet général et du secrétaire général. Son pouvoir discrétionnaire s’exerce par simples décision et ordonnances alors que la cessation de fonction du secrétaire général et son redéploiement comme avocat général ou conseiller dépassent son pouvoir discrétionnaire et doivent intervenir par décret du président de la République pris en Conseil des ministres.

Sur mon redéploiement comme avocat général ou conseiller à la Cour Suprême :     

En l’espèce, après 6 ans de bons et loyaux services à la Cour Suprême, dont 3 ans et 3 mois passés comme avocat général, avant d’être promu secrétaire général en octobre 2020, la proposition de mon redéploiement comme avocat général ou conseiller (fonctions de débutant) à la même Cour, est une sanction, une rétrogradation et une humiliation.

N’ayant commis aucune faute, tel qu’avoué par le président lui-même, et vérifiable auprès des magistrats et du personnel d’appui de la Cour, je ne saurais être rétrogradé pour redevenir avocat général ou conseiller. Je ne pourrais être que promu à un poste supérieur (procureur général, vice-président ou président).

La proposition de ma rétrogradation comme conseiller ou avocat général dénote de la volonté du président de la Cour de mettre fin à ma fonction de membre de la Cour en violation des articles 5 et 8 susmentionnés, étant entendu que je n’accepterai jamais de redevenir conseiller ou avocat général, poste que j’ai déjà occupé à mon arrivée à la Cour en 2017, soit deux ans avant la nomination du président Théra lui-même. Le président Théra lui-même acceptera-t-il de redevenir, par exemple, conseiller, fonction qu’il a occupée à son arrivée à la Cour il y’a 4 ans ? La promotion à la Cour Suprême est fonction de la date de nomination. Actuellement, le premier avocat général Yaya Koné et moi sommes les magistrats de l’ordre judiciaire les plus anciens en séjour à la Cour Suprême. Aussi, en termes de rémunération, un avocat général ou un conseiller est moins rémunéré que le secrétaire général. A titre d’information, c’est sur la base de ce salaire de secrétaire général que j’ai contracté deux prêts que je suis en train de rembourser. Confèrent les documents desdits prêts. Réduire ce salaire, en me rétrogradant injustement, équivaudrait à me décrédibiliser aux yeux de mes créanciers.

A défaut de promotion, je dois être laissé à mon poste de secrétaire général pour continuer mon travail jusqu’à ce qu’un autre poste convenant à ma promotion interne soit disponible.

Sur mon remplacement par le rapporteur public de la section administrative Nouhoun Bouaré :

En ma qualité de magistrat de grade exceptionnel depuis plusieurs années, sans aucune faute professionnelle pendant mon séjour de 6 ans à la Cour (juillet 2017 à nos jours), il n’est nullement logique de me redéployer à une fonction inférieure (conseiller ou avocat général) et de me faire remplacer par le rapporteur public Nouhoun Bouaré, avec lequel j’ai les meilleurs rapports, mais qui est :

– un magistrat qui a été dénoncé par le chef de sa section (section administrative) pour faute, sanctionné et rétrogradé de conseiller à rapporteur public il y’a juste moins d’une année (en 2022);

– un magistrat qui n’a accédé au grade exceptionnel que depuis seulement quelques mois.

   GRIEFS NON DITS DU PRESIDENT FATOMA THERA CONTRE MOI :

La proposition de décision du président Théra me concernant n’est motivée que par un esprit de vengeance, parce que j’aurais été aurait été, selon lui, défavorable  au projet de loi prorogeant sa retraite, comme d’ailleurs la majorité de toute la famille judiciaire et du peuple malien. D’ailleurs, le triste constat aujourd’hui est que cette prorogation de sa retraite divise les magistrats de la Cour Suprême, les magistrats de la Cour Suprême et ceux des autres juridictions, les syndicats des magistrats, les syndicats des magistrats et leurs bases respectives, le peuple malien…etc. Le président Théra doit-il encore tirer sur cette corde en créant d’autres problèmes là où il n’en faut pas ?

Le deuxième grief non-dit contre moi est d’avoir accepté la confiance de mes pairs magistrats qui sont venus à mon bureau me prier d’être candidat au Conseil Supérieur de la Magistrature et d’avoir été élu au sein de cet organe. Le président Théra et le procureur général Timbo ont tout fait pour empêcher ma candidature, qui n’a été possible que grâce au respect strict des textes en la matière par Monsieur le Ministre de la Justice.

Le troisième grief non-dit contre moi, secrétaire général, conduisant une épave de véhicule, en mauvais état, depuis ma nomination, est d’avoir simplement et poliment demandé au président d’affecter au secrétariat général un des nombreux véhicules de service, en bon état, non utilisés et garés dans l’enceinte de la Cour Suprême et à domicile. A ce jour, je conduis ladite épave de véhicule, dont le dernier bon de réparation, datant de plus d’un mois, attend toujours l’approbation du président Théra.

C’est pour ces raisons inavouables que le président Fatoma Théra tente de briser ma carrière à la Cour Suprême, où le principe est la promotion interne selon la date de nomination.

Ainsi :

– en me sortant de la Cour Suprême, en violation des articles 5 et 8 de la loi organique et du statut de la magistrature, je ne serais plus à la Cour pour prétendre à aucune quelconque promotion interne ;

– en me rétrogradant injustement, par interprétation erronée de la notion de pouvoir discrétionnaire du président de la Cour, mêmes les collègues nommés après moi, y compris ceux de 2022, me devanceraient en termes de rangs, de préséance et de promotion interne.

 Monsieur le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,

De tels comportements doivent-ils être encouragés et mettre ainsi  à l’écart un magistrat dévoué, qui est dans son bureau chaque jour avant 7 heures du matin, pour servir valablement la Cour Suprême et le Mali depuis 6 ans?

De tels comportements ne sont-ils pas de nature à décourager les bons travailleurs et en ajouter davantage au désordre que connait actuellement la magistrature ?

Monsieur le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,

Au vu de tout ce qui précède, je voudrais humblement porter à votre haute attention une éventuelle violation de la loi organique concernant mon plan de carrière et une tentative délibérée de briser ma carrière à la Cour.

Je voudrais, par conséquent, respectueusement solliciter votre implication et celle de Monsieur le Ministre, tous les deux réputés pour votre droiture, pour :

– rappeler le président de la Cour Suprême au respect strict de la loi concernant mon mandat de membre de la Cour Suprême de 5 ans qui n’expirera qu’en juillet 2027;

-inviter le président et le secrétaire général de la Cour que nous sommes à prendre tous les deux de la hauteur et tenir compte de l’intérêt supérieur de la justice du pays ; ne pas accorder une suite favorable à la proposition de relève ou de redéploiement me concernant ; surseoir à cette proposition de relève ou de redéploiement me concernant jusqu’à ce qu’un poste de promotion, conforme à ma gestion « sans faute », soit disponible pour ne pas créer un précédent arbitraire, illégal et incompréhensible pouvant décourager d’autres magistrats à travailler correctement.

Rappeler au président Fatoma Théra que l’objectif pragmatique de la prorogation de sa retraite est de continuer à traiter des dossiers et non de briser la carrière de ses collègues plus jeunes ;

En vous remerciant par avance pour la grande clairvoyance dont ferez, comme d’habitude, montre dans la gestion de ce dossier, veuillez agréer, Monsieur le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’expression de ma très haute considération.

Aboubacar Guissé

Magistrat, N° Mle 939-31 W

Secrétaire Général de la Cour Suprême

Chevalier de l’ordre national du Mali

 

 

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