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Retrait des États de l’AES de la CEDEAO : Coup de bluff ou levier de négociation ?

Retrait des États de l’AES de la CEDEAO : Coup de bluff ou levier de négociation ?

Comme la majeure partie de nos compatriotes maliens, nous avons appris la nouvelle du retrait du Mali de la CEDEAO à travers le communiqué conjoint du Burkina Faso, du Mali et du Niger en date du 28 janvier 2024.

Les raisons invoquées pour justifier leur retrait se résument entre autres au fait que la CEDEAO est sous l’influence de puissances étrangères-est devenue une menace pour ses États membres n’a pas porté assistance aux États de l’AES dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité a imposé des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes.

Dès lors, cette situation requiert d’une analyse lucide des raisons avancées pour motiver le retrait (1.) et (2.) de s’interroger si dans le cas d’espèce, les Autorités de la Transition sont légitimes à retirer le Mali de la CEDEAO ?

Les raisons du retrait, ou une fuite en avant

La première raison réside dans le fait que la CEDEAO est sous l’influence de puissances étrangères. Cette affirmation parait légère. Le communiqué indique une pluralité de puissances étrangères. Nous savons tous que les relations entre les États de l’AES et la France sont tumultueuses depuis longtemps et que les canaux diplomatiques habituels ne fonctionnent pas.

Si la sortie regrettable du Président Macron à la veille d’un sommet de la CEDEAO indiquant qu’il allait s’entretenir avec le Président du Ghana n’est pas diplomatique et est inacceptable voire contreproductive, il n’est pas permis de retenir que la CEDEAO est le chambellan de puissances étrangères. Les États de l’AES sont membres de la CEDEAO et sont signataires de toutes les conventions de cette organisation, notamment le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance depuis 1999.

L’article 1er de ce protocole additionnel stipule : « b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. c) Tout changement anti-constitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. d) La participation populaire aux prises de décision, le strict respect des principes démocratiques, et la décentralisation du pouvoir à tous les niveaux de gouvernement. e) L’armée est apolitique et soumise à l’autorité politique régulièrement établie ; tout militaire en activité ne peut prétendre à un mandat politique électif ».

Les autorités de la Transition du Mali ne peuvent pas raisonnablement soutenir que la CEDEAO ne devait pas prendre de sanctions à l’encontre du Mali à la suite d’un changement de régime anti-constitutionnel. Il convient d’ailleurs de préciser que lorsque la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo avait fait l’objet de sanctions par la CEDEAO, les pays de l’AES avaient pris part au vote de cette décision.
La CEDEAO n’a pas attendu non plus de puissances étrangères pour prendre les sanctions contre le Mali en 2012 lors du Coup d’État contre le Président Amadou Toumani Touré (ATT). Ce n’est, d’ailleurs, pas la CEDEAO seulement qui a pris des sanctions contre le Mali, il y avait également l’Union Africaine, ainsi que les Etats-Unis qui avaient suspendu toute coopération militaire avec le Mali.

Le Mali est un État qui a pris des engagements et doit les respecter. Dans les pays où il y a eu un Coup d’État, en application du principe de prohibition de tout changement anti- constitutionnel, la CEDEAO a appliqué les clauses du protocole additionnel.

Cette première raison ne nous parait pas convaincante.

La deuxième raison, c’est que la CEDEAO est devenue une menace pour ses États membres dont ceux de l’AES. Là encore l’argument étonne. La CEDEAO est l’ensemble sous-régional le plus intégré en Afrique tant sur le plan juridique qu’économique. Il suffit de se référer aux organes de fonctionnement et des documents administratifs communs (Passeport, Carte d’Identité CEDEAO) l’assurance CEDEAO pour la libre circulation- le fait de considérer chaque ressortissant d’un pays de la CEDEAO comme un citoyen du pays d’accueil…
La libre circulation des personnes et des biens dans ce vaste ensemble ne souffre d’aucun doute.

Soutenir donc que la CEDEAO est devenue une menace contre ses États membres est également faible comme argument. La CEDEAO est dans son rôle de condamner tout changement anti-constitutionnel, toute prise de pouvoir par les armes et au besoin de prendre les sanctions appropriées. Cela se justifie d’autant plus que les États de l’AES ont soutenu ces mêmes sanctions contre d’autres Etats de la CEDEAO lorsqu’il y a eu des changement anti-constitutionnels.

La troisième raison est que la CEDEAO n’a pas porté assistance aux Etats de l’AES dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’insécurité. Cet argument est étonnant, nous avons souvenance qu’un conseil de paix de sécurité de la CEDEAO s’est tenu à Bamako sous la mandature du président ATT et était consacré à la situation sécuritaire du Mali. Nous avons souvenance également que le Nigéria a même envoyé un contingent qui était basé dans la Région de Koulikoro vers Banamba. Pour ce qui concerne le Mali, nous ne pouvons pas souscrire à cet argument.

La quatrième et la dernière raison est que la CEDEAO a imposé des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes.
Le 9 janvier 2022, s’est tenu à Accra au Ghana à l’invitation du Président Nana Akufo Addo, un sommet extraordinaire consacré à l’examen de la situation au Mali et en Guinée. En marge de ce sommet, s’est tenu un sommet extraordinaire de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). A l’issue de ces deux sommets des sanctions ont été prises contre le Mali (fermeture totale des frontières terrestres et aériennes des Etats de la CEDEAO avec le Mali, suspension de tous échanges commerciaux à l’exception des produits de première nécessité et pharmaceutiques, rappel de tous les ambassadeurs accrédités à Bamako, gel des avoirs du Mali, mise en alerte de la force d’intervention pour une éventuelle intervention militaire).

En réaction à ces sanctions, le Gouvernement du Mali, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2022 par son porte-parole a pris acte de ces sanctions « illégales et illégitimes » et a décidé en conséquence de la fermeture de ses frontières terrestres et aériennes, le rappel de tous ses ambassadeurs des pays membres de la CEDEAO, la dénonciation du gel des avoirs de différentes personnes morales contrairement à l’indépendance de la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest, le droit de réexaminer sa participation aux dites institutions.

Ces sanctions de la CEDEAO ont heurté les opinions publiques dans beaucoup de pays qui les ont dénoncés et ont estimé qu’après dix années de présence, les forces multinationales africaines, occidentales et onusiennes n’ont pas éradiqué le terrorisme et sa violence mais que ce terrorisme s’est métastasé dans d’autres pays avec des conséquences déstabilisatrices.

Après cette friction, le dialogue a été renoué entre la CEDEAO et le Mali qui s’est engagé dans un délai de 24 mois pour un retour à l’ordre constitutionnel. Entre temps la donne a changé, il y a eu un changement anti-constitutionnel au Burkina Faso et au Niger avec à la clé la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui se soutiennent mutuellement et croient que tous les problèmes qui minent ces pays sont le fait de la CEDEAO. L’argument est tentant et peut emporter adhésion auprès de bon nombre des populations de l’AES par ce narratif qui est savamment construit et consistant à soutenir que la CEDEAO prend ses ordres auprès de puissances étrangères mais il n’est pas vrai. On peut remettre le fonctionnement de la CEDEAO en question, contester les décisions prises, appliquer la réciprocité comme le Mali l’a d’ailleurs fait, mais de là à aller jusqu’au retrait de la CEDEAO est un choix qui ne peut être décidé uniquement par le président de la Transition.

A minima, si le Conseil National de Transition (CNT) est considéré comme l’organe législatif de la transition, cette décision de retrait devrait être soumise au CNT ou faire l’objet d’un processus référendaire pour que le peuple se prononce sur cette décision grave qui le concerne en premier chef.

Les Autorités de la Transition du Mali peuvent-elles retirer le Mali de la CEDEAO ?

Le processus de retrait de la CEDEAO est notamment défini dans l’article 91 du Traité de la CEDEAO. Cet article précise que : « Tout Etat Membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai, d’un (l) an, sa décision au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats Membres. A l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet Etat cesse d’être membre de la Communauté.

Au cours de la période d’un (1) an visée au paragraphe précédent, cet Etat membre continue de se conformer aux dispositions du présent Traité et reste tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du présent Traité ». A la suite de l’annonce de retrait des pays de l’AES, la Commission de la CEDEAO par communiqué de presse en date du 28 janvier 2024 a indiqué que : « L’attention de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Commission de la CEDEAO) a été attirée sur un communiqué diffusé sur les télévisions nationales du Mali, du Burkina Faso et du Niger annonçant la décision du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se retirer de la CEDEAO.

La Commission de la CEDEAO n’ayant pas encore reçu de notification formelle directe des trois États membres concernant leur intention de se retirer de la Communauté.
La Commission de la CEDEAO, sous la direction de l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement, a travaillé assidûment avec ces pays pour la restauration de l’ordre constitutionnel.

Le Burkina Faso, le Niger et le Mali restent des membres importants de la Communauté et l’Autorité reste déterminée à trouver une solution négociée à l’impasse politique. La Commission de la CEDEAO reste saisie de l’évolution de la situation et fera de nouvelles déclarations à mesure que la situation évolue ». Il en résulte donc que les Etats de l’AES n’ont pas respecté la démarche à suivre pour se retirer de l’organisation si l’on se réfère au communiqué précité de la CEDEAO.

Quoiqu’il en soit et quelles que puissent être les raisons précédemment citées par les Etats de l’AES, les autorités de la Transition en ce qui concerne le Mali, n’ont pas le pouvoir de décider du retrait du Mali de la CEDEAO.

Les autorités de la Transition indiquent régulièrement qu’elles sont animées par leur seule volonté de mettre en œuvre les recommandations des Assises Nationales de la Refondation (ANR -Point 10 Politique étrangère – Coopération Internationale – Maliens établis à l’extérieur – Intégration Africaine) et que toutes leurs décisions sont guidées par trois (principes)-le respect de la souveraineté du Mali – le respect du choix des partenaires stratégiques du Mali – la prise en compte des intérêts supérieurs du peuple.

Le retrait de la CEDEAO ne s’inscrit absolument ni dans la mise en œuvre des ANR, et encore moins dans l’application de ces trois principes qui sont censés guider l’action des autorités de la Transition.

A notre avis, les autorités de la Transition n’ont pas la capacité et la légitimité pour décider du retrait du Mali de la CEDEAO. Les raisons du retrait se trouvent ailleurs que celles citées dans le communiqué conjoint.

Il ne fait aucun doute que le retour à l’ordre constitutionnel n’est pas inscrit à l’agenda des autorités de la Transition du Mali. La preuve c’est le report sine die des élections qui a été décidé par les Autorité de la Transition.

Que les Autorités de la Transition engagent des négociations avec la CEDEAO pour essayer de rallonger la durée de la transition si elles estiment que les élections transparentes ne peuvent pas être organisées aux dates initialement prévues est une chose qui peut s’entendre.

Mais de là à quitter la CEDEAO est un pas qu’il ne faut pas franchir.

Les Etats de l’AES ont tout à perdre de cette sortie. Pour ce qui concerne le Mali, nous dépendons de la Côte d’Ivoire et du Sénégal pour acheminer le principal produit d’exportation le coton et importons les hydrocarbures principalement de la Côte d’Ivoire.

Les conséquences seront plus désastreuses qu’avantageuses pour les Etats de l’AES.

Ce retrait est un jour triste pour qui connait le Mali qui a consacré un titre à l’Unité africaine dans toutes ses Constitutions y compris la dernière réforme constitutionnelle ayant consacré la quatrième République, à travers son article 180 en indiquant qu’il est prêt à abandonner partiellement ou totalement sa souveraineté en vue de réaliser l’unité africaine.

Il ne faut désespérer de rien. Nous fondons l’espoir que les autorités de la Transition de l’AES discuteront avec la CEDEAO en vue de leur maintien dans cet ensemble sous-régional qui présente un avantage certain pour les populations de la CEDEAO.
Ce serait un échec pour la CEDEAO et les Etats de l’AES s’ils n’arrivaient pas à parvenir à une solution négociée face à cette situation et certainement un drame pour les peuples de la CEDEAO.

Maître Daouda Bah avocat aux Barreaux de Paris et du Mali

 

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