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Moussa Mara, ancien PM : « Urgence d’un plan Marshall pour le Sahel »

Moussa Mara, ancien PM : « Urgence d’un plan Marshall pour le Sahel »

Le Sahel fait la une de l’actualité internationale depuis quelques années en raison de la succession de crises sécuritaires, institutionnelles et humanitaires dont il est le théâtre. La survenance de coups d’Etat dans la région, plus ou moins suivie par des bouleversements stratégiques, a encore confirmé le Sahel comme l’un des points de tensions de la planète.

Les soubresauts actuels ont des aspects factuels et conjoncturels mais également des causes structurelles profondes qu’il faut traiter si on veut éviter au Sahel la multiplication d’Etats faillis et de pays déstructurés.

Les changements climatiques impactent fortement la région depuis pratiquement les indépendances. Les lourdes sècheresses des années 70 et 80, la perte de couverts végétaux significatifs (en 40 ans, le Mali a perdu 2/3 de ses forêts, soit plus de 9 millions d’hectares), les lacs qui s’assèchent, etc. sont des phénomènes connus dans le Sahel bien avant la prise de conscience planétaire des questions climatiques. Les ressources naturelles s’y amenuisent sérieusement et cela devient d’autant plus problématique, qu’au même moment, les populations augmentent fortement.

La démographie sahélienne est la plus dynamique au monde. On y retrouve deux des trois pays les plus jeunes au monde. Les taux annuels moyens de progression de la population y sont supérieurs à 4%. Faute de croissance suffisante des économies, les populations ne peuvent espérer un accroissement significatif de leur niveau de vie et demeurent ainsi, pour une large part, dans une pauvreté navrante. Il en résulte, pour les pays et pour leurs Etats, un effet « ciseaux » dévastateur pour la stabilité et la cohésion sociale.

L’urbanisation, favorisée par la pauvreté ambiante, notamment dans les zones rurales, n’est ni organisée ni économiquement transformative. Elle est subie, essentiellement au profit des capitales qui en deviennent des poudrières sous l’effet de véritables zones urbaines de pauvreté, de désespoir et de frustrations de toutes sortes. Dans les capitales sahéliennes, se multiplient des quartiers précaires sous-équipés, voire non équipés, et qui deviennent de véritables pièges pour les populations qui s’y établissent.

Les pays sahéliens se caractérisent souvent par de grands territoires, peu peuplés en maints endroits, que les Etats démunis ont du mal à couvrir. L’administration n’est pas suffisamment présente, notamment dans les zones périphériques. Cela nourrit des ressentiments soutenus par le sentiment d’injustice ou d’iniquité. Un des fondements des rebellions, ici ou là, se trouve dans cette réalité.

Les faiblesses étatiques sont élargies par des insuffisances significatives de gouvernance sur fond de corruption des élites. Ces attitudes frauduleuses finissent par alourdir le climat social, affaiblir et discréditer les pouvoirs publics et sont autant de justifications des actions déstabilisatrices. Cela avec d’autant plus d’énergie que les populations sahéliennes présentent des déficits majeurs en termes de capital humain.

Le rajeunissement de la population, autre impact de la démographie, génère des flux de plus en plus importants de jeunes arrivants sur le marché de l’emploi dont plus de 80% sans qualification. Au Mali, ce sont ainsi plus de 300 000 emplois qu’il faudrait créer chaque année pour résorber le chômage grandissant et inverser sa tendance endémique.

Les systèmes éducatifs ont été déstructurés par les plans d’ajustement structurel des année 80. Ensuite le grand nombre d’enfants à encadrer oblige les Etats à utiliser le peu de moyens disponibles pour l’accueil des effectifs, au détriment de la qualité de l’enseignement. Le faible niveau d’instruction qui en résulte réduit d’autant les chances des diplômés dans le contexte décrit précédemment, notamment dans les zones urbaines.

Les pays sahéliens sont souvent des nations au passé glorieux, ayant abrité des civilisations illustres, créant chez les populations un sentiment de fierté vis-à-vis de ce passé ainsi sublimé. La magnification de ce passé glorieux prend peu à peu en otage les populations, accablées par le présent. Elles deviennent hermétiques à toute remise en question et sensibles aux manipulations, théories du complot ou encore à la quête de bouc émissaires.

Les Technologies de l’information et de la Communication créent un cadre idéal aux manipulations. Elles sont également des facteurs de frustration par la globalisation de l’information qu’elles favorisent. Elles offrent des possibilités d’exprimer ces frustrations et en deviennent des facteurs de radicalisation des populations. Ce qui créera la possibilité d’instrumentalisation de ces sentiments par certains leaders politiques qui arriveront à susciter des soulèvements sur des questions périphériques, masquant d’autant plus les défis structurels.

La situation au Sahel en devient ainsi complexe quand on y ajoute quelques impacts du contexte géopolitique international, la présence de groupes terroristes qui menacent les fragiles équilibres sociaux et l’instabilité institutionnelle qui handicape les perspectives politiques.

Il est impératif que ces pays s’attèlent à faire face à leurs défis. Le renforcement étatique est le premier. Ils ne feront pas l’économie de trouver les moyens de réaliser cela par leurs propres ressources d’abord. Il est nécessaire de mettre en place les dynamiques internes afin de redéfinir les configurations politiques, favoriser des consensus pour établir de nouvelles normes de gouvernance, et ainsi parvenir à des modes de gouvernance vertueux. Il leur faut, sans doute, internaliser les solutions sécuritaires, politiques, sociales qui peuvent ouvrir la voie à des règles institutionnelles et politiques plus endogènes que celles pratiquées jusqu’à présent : plus de décentralisation, plus de contenu à la laïcité et de place aux religions, promotion des langues et cultures nationales, inculturation de la démocratie et des pratiques démocratiques, plus d’écoute à l’égard des forces de la société civile et plus d’inclusivité dans la gouvernance. Chaque pays du Sahel doit trouver sa voie dans cette dynamique. On doit lui donner de l’espace pour ce faire.

Cependant, aucun pays sahélien ne dispose des moyens pour faire face aux causes structurelles des crises décrites précédemment. Des efforts financiers significatifs sont nécessaires pour traiter les défis profonds auxquels la région fait face et cela dans un horizon lointain. Des investissements massifs sont à consentir dans les infrastructures, l’énergie, l’éducation-formation, les opportunités économiques, etc. Il faut un véritable plan Marshall pour le Sahel si on veut l’aider à sortir des affres dans lesquels il est englué depuis quelques décennies. Cela fait écho à un récent appel lancé par le représentant permanent adjoint de la Chine auprès des Nations Unies, Mr Dai BING, qui a demandé à la communauté internationale, lors d’une intervention devant le Conseil de sécurité, le jeudi 11 janvier, d’aider de manière massive les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest afin de leur permettre d’instaurer la paix et la stabilité, lutter contre le terrorisme et développer l’économie. Il fait également écho à la demande faite en son temps par le Secrétaire général des Nations Unies lui-même. Il est souhaitable que ces appels soient entendus.

Moussa MARA www.moussamara.com

 

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