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Moussa Mara, ancien Premier ministre : « PLACER LA QUESTION DE LA JEUNESSE AU CŒUR DE L’ACTION PUBLIQUE… »

Moussa Mara, ancien Premier ministre : « PLACER LA QUESTION DE LA JEUNESSE AU CŒUR DE L’ACTION PUBLIQUE… »

En retrait des affaires publiques depuis sept ans, Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, évoque les enjeux du continent africain, le potentiel que constitue sa jeunesse et son engagement à voir l’Afrique jouer les premiers rôles à travers l’union économique de ses Etats. En homme averti des problèmes du Mali il décode par ailleurs, à travers cette interview, les clés pour un réel retour à la paix dans son pays et nourrit l’ambition de prendre part à la présidentielle de 2022

Certains vous décrivent comme un « réformateur », d’autres comme un « homme pressé », un « visionnaire ». Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs en indiquant le qualificatif qui vous définit le mieux ?

Je suis d’abord un citoyen qui estime qu’il a une dette immense à l’égard de son pays et de ses compatriotes, dette qu’il essaie de rembourser, au moins en partie, en travaillant du mieux qu’il peut pour rendre le maximum de Maliens heureux et notre pays meilleur à vivre. Je fais cela en tant qu’individu (professionnel comptable, citoyen, acteur de la Société civile) depuis près de 25 ans et en tant qu’acteur politique et responsable public depuis un peu plus de 10 ans. Les qualificatifs sont toujours réducteurs

Cela fait sept ans que vous aviez quitté votre fonction de Premier Ministre du Mali. Quel est, aujourd’hui, votre sentiment par rapport à la gouvernance de votre pays ?

L’une des causes profondes de la crise multidimensionnelle dans laquelle notre pays est plongé est sa gouvernance qui n’est pas toujours exemplaire et donc son leadership qui présente des défaillances significatives. La résultante est une défiance importante entre les Maliens et leurs élites politiques. Avec un fossé entre le peuple et ceux en charge de le diriger, il est difficile de construire un chemin de sortie de crise. L’une des voies de la rédemption sera de mettre les responsables au service du peuple, c’est ce que j’ai essayé de faire en tant que Premier ministre et, avant cela, en tant que maire ou ministre et aussi en tant que député. De tout temps vous avez fait de la promotion de la jeunesse une vocation politique.

D’ailleurs, vous êtes jusqu’à la date d’aujourd’hui, le plus jeune premier ministre que le Mali ait connu. Quelle peut être la place de la jeunesse dans le processus de développement du Mali ?

La jeunesse (population dont l’âge est inférieure à 35 ans) représente au moins 70% des Maliens en ce moment. Il est évident que si l’on veut construire durablement la paix et l’harmonie dans le pays, on ne peut laisser en marge la majorité de la population. Il nous faut associer les jeunes à la gouvernance du pays et nous avons dans notre pays comme ailleurs d’excellents cadres jeunes qui peuvent occuper des postes de responsabilités. Nous devons également aider les jeunes entrepreneurs ainsi que ceux acteurs de la Société civile pour multiplier les exemples de réussite et les modèles pouvant servir d’inspiration aux autres. Nous devons aussi travailler notre système éducatif et de formation pour offrir plus de chances d’insertion aux jeunes. Il s’agit en somme de placer la question de la jeunesse au cœur de l’action publique, étatique et des préoccupations de la société et de la Nation. C’est cette idée qui m’a animé en 2015 à travers la publication du livre « La jeunesse africaine ». Il est justement démontré que l’Afrique est riche de la jeunesse de sa population.

Quels doivent être les leviers à actionner par les Etats africains en général et celui malien en particulier pour faire de cette jeunesse un atout et non une bombe sociale ?

Au-delà de ce qui est dit précédemment, nous ne devons pas nous voiler la face et laisser en plan les enjeux démographiques et de l’urbanisation accélérée du continent. Ces enjeux sont structurants et si nous ne les traitons pas à hauteur de souhait, nos pays connaitront difficilement la stabilité. Pour tirer de la jeunesse africaine son potentiel immense, la confiance entre les jeunes et les élites est indispensable. C’est ce qui nous permettra de convier les jeunes à faire leur part du travail. Il y a enfin la problématique majeure de l’emploi des jeunes. Ce défi immense appelle de notre part l’engagement de différents chantiers allant de l’industrialisation à la promotion de l’économie locale et du secteur informel en passant par le soutien aux métiers urbains pourvoyeurs d’emplois et à un accompagnement intelligent des jeunes ruraux.

Abordons un autre défi d’importance qui se pose à l’Afrique entière, les pays de la sous-région sahélo-saharienne en particulier : les menaces djihadistes et terroristes. C’est une triste réalité qui pèse sur la vie sociale et économique de la sous-région. Pour endiguer ces menaces, quelle doit être, selon vous, la stratégie à adopter par votre pays et ses voisins ?

Là également il faut savoir sortir des sentiers battus et des solutions toutes faites, souvent préconisées par des pseudos experts n’ayant pas mis le pied sur le terrain. Nous devons d’abord analyser, caractériser et maitriser les éléments constitutifs du Djihadisme dans nos contrées car il y a de nombreuses différences avec ce qui est observé ailleurs. La réponse militaire est nécessaire mais non suffisante, nous devons l’engager mais en faisant en sorte que nos forces soient adaptées aux équations proposées par les groupes armés. Au-delà de la réponse militaire, il faut sans doute un pack de réponses qui combineront la présence étatique qui rassure, une administration au service des populations, la fourniture de services de base dans des conditions équitables et la création de possibilités d’insertions économiques pour les jeunes. A moyen terme, nos Etats doivent se réorganiser pour s’adapter davantage aux réalités locales dans nos terroirs, ce qui suppose une profonde décentralisation. Nous ne ferons également pas l’économie d’un meilleur partenariat entre les collectivités locales, les services déconcentrés et les légitimités traditionnelles et religieuses dans nos pays.

Récemment, à Paris, vous aviez participé à une conférence sur la digitalisation du continent africain aux côtés de l’essayiste Sophonie Koboudé, auteur du livre « Le digital au secours de l’Afrique » que vous aviez préfacé. Pourquoi serait-il intéressant pour l’Afrique de s’engager sur la voie de la digitalisation ?

La digitalisation n’est pas une option mais une obligation pour l’Afrique car dans de nombreux domaines, elle nous permet de combler nos lacunes et de créer les conditions d’un mieux-être pour les Africains. L’exemple du mobile banking prouve cela. Nous avons à nous en persuader et à faire les efforts nécessaires pour faire de l’Afrique, non pas un consommateur de digital, mais un producteur et « ajouteur de valeur » dans l’économie numérique. Le continent contient des énergies créatrices importantes pour atteindre cet objectif. Vous êtes aussi connu pour être un défenseur de l’union économique en Afrique. Mais vous ne semblez pas encore satisfait des résultats des différents modèles d’intégration actuellement en cours sur le continent.

Quels sont les changements à apporter ou comment entrevoyez-vous une telle intégration ?

Tout ce qui est en train d’être fait (zone de libre-échange continental, monnaies uniques régionales, infrastructures régionales…) est positif mais prendra du temps, on le voit. Il faut une forte impulsion politique et j’espère que ce sera de plus en plus le cas. En attendant j’ai préconisé quelques idées concrètes qui peuvent accélérer l’intégration.

Par exemple, pourquoi les pays d’Afrique de l’Ouest, producteurs du coton, ne mettraient pas leur filière ensemble pour faire une seule compagnie industrielle du coton ?

Celle-ci aurait plus de puissance et de moyens que les pays individuellement pris. On peut envisager la même chose pour le cacao, l’arachide…Ces compagnies peuvent servir de base au développement de filières industrielles et attirer de grandes industries de transformation qui seraient plus à l’aise de traiter avec une seule compagnie sur un grand espace de 400 millions d’habitants par exemple plutôt que dix petites compagnies disséminées entre les pays. Cette idée permettra de « coudre » nos pays et on ira rapidement vers une grande intégration économique, prélude à l’union politique.

La crise du coronavirus a durement frappé les économies africaines en général. Comment voyez-vous la relance économique et le monde africain post-Covid ?

De formidables moyens sont dégagés en Europe, en Amérique et ailleurs pour aider les économies. L’Afrique n’a malheureusement ni l’unité d’action ni les moyens d’engager un plan de relance massif. Nous le devrions pourtant. Il faut soutenir les initiatives prises pour doter le continent de moyens significatifs à ce titre comme le sommet de Paris sur le financement de l’économie africaine ou encore la rencontre d’Abidjan de juillet de 2021.

Homme d’Etat, vous déclarez vraisemblablement votre candidature à la présidentielle de 2022 au Mali. Que faites-vous pour faire triompher vos idées cette fois-ci ?

Un homme politique qui se soumet au suffrage de ses concitoyens le fait pour un idéal soutenu par un projet. Ce projet doit être présenté et soutenu pour obtenir l’accompagnement de la majorité. C’est ce que nous ferons dans les mois à venir. Avec conviction et humilité. Depuis des années nous parcourrons le pays, visitant 450 des 750 communes du Mali ainsi que 50 pays à l’extérieur, allant quelques fois dans des endroits où même les représentants de l’Etat ne sont pas, pour rencontrer personnellement les Maliens et leur expliquer qui nous sommes, ce que nous voulons faire et comment le pays peut se sortir des difficultés actuelles. Nous avons bon espoir que cela marche et on se battra pour cela.

Cyprien K

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