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Laïcité : Comprenons là pour mieux l’utiliser ?

Laïcité : Comprenons là pour mieux l’utiliser ?

Les cassandres les plus pessimistes ont prédit depuis des décennies que la troisième guerre mondiale sera provoquée par des conflits religieux. Depuis une quinzaine d’années, dans les fracas de l’effondrement des tours jumelles de New – York suite à un attentat effroyable, la religion musulmane est au cœur des débats intellectuels et sociaux des pays occidentaux. Depuis trois ans, dans notre pays, il y a de plus en plus de questionnements sur la place de la religion dans le pays, les rapports entre les religions, la politique et l’État et la société. Tout cela sur fond de crainte, notamment venant des leaders politiques, intellectuels…de voir un jour le Mali devenir un État islamique, intolérant et violent. Cela a rendu le mot laïcité très utilisé, à la mode, employé régulièrement comme une digue face à la supposée menace religieuse. La laïcité est ainsi employée dans de nombreux sens, souvent au gré de l’intérêt de celui qui l’utilise sans forcément qu’il en appréhende son sens ou encore sa portée.

Les leaders religieux et la religion sont apparus au grand jour au Mali comme des acteurs majeurs de la scène publique à partir des mouvements relatifs à l’adoption du code des personnes et de la famille mais surtout à l’occasion des dernières élections générales où leur capacité de mobilisation politique a été avérée. Cela a ainsi confirmé d’une part la volonté manifeste des acteurs religieux à ne plus se cantonner dans le domaine de la foi et à exprimer de plus en plus leurs positions, et d’autre part, la perte d’influence de la classe politique sur le corps social. Cette double évidence a semé une véritable panique chez les leaders politiques face à une force alternative naissante dont peu d’entre eux connaissent les véritables ressorts et donc peu manipulable pour eux. Beaucoup d’entre eux essaient de la contenir en brandissant la laïcité à chaque occasion où ils estiment que la religion, notamment sa version politique, avance un peu trop dans la sphère publique. Or, elle est déjà devenue centrale dans notre société et dans notre pays. Ce que nous avons de mieux à faire, plutôt que de nous cantonner dans des échanges de mots, c’est de nous poser les vraies questions pour trouver des réponses appropriées permettant de les résoudre. La présente contribution a cette vocation principale.

Il nous est nécessaire de saisir les vrais sens de la laïcité pour les mettre en perspective des enjeux majeurs liés aux rapports entre la religion, la société et l’Etat. Il est tout aussi indispensable d’analyser ces enjeux dont certains se déroulent loin de nos frontières mais avec un impact certain sur notre corps social. Ces questionnements utiles jetteront des éclairages appréciables sur les vrais sujets de débats pour un pays comme le Mali. Ce qui facilitera l’identification de quelques pistes utiles permettant au pays de définir et de mettre en évidence sa propre laïcité tout en résolvant, au moins en partie, les problématiques posées par les rapports Religion – Etat, Religion – société, Société – Etat.

SENS DE LA LAICITE

La laïcité est un terme francophone qui illustre la séparation de l’Etat et de l’Eglise que la France a eu énormément de mal à faire et à laquelle elle est finalement parvenue en 1905. Depuis lors, dans ce pays en particulier, elle fait l’objet de débats et l’Etat y est soumis à des arbitrages difficiles entre ce qui relève de la question publique et ce qui relève de la foi. Cet arbitrage difficile se pose et se posera à tous les Etats car cette question est souvent difficile à trancher. C’est aussi ce qui fait que la laïcité s’illustre mieux qu’elle ne se définit. Deux notions fondamentales permettent ainsi de l’illustrer pour comprendre sa portée : la liberté individuelle en matière de culte et l’équidistance de l’Etat vis-à-vis des religions. Ces deux notions elles-mêmes sont facilement comprises à travers des exemples et situations pratiques.

La laïcité est à mettre d’abord en rapport avec la liberté individuelle de chaque citoyen à pratiquer le culte de son choix sans aucun risque pour lui dans la société. Cela est crucial pour un vieux pays comme le nôtre, terre d’accueil de plusieurs religions et surtout terre où il y a un vrai mélange entre les croyances religieuses et les pratiques ancestrales. La société malienne est syncrétique et ouverte à de nombreuses croyances. Cela la rend très tolérante et ouverte. Le malien lui-même est profondément laïc, cela sur tout le territoire et quel que soit la race ou l’ethnie. La liberté de culte est donc à préserver et à protéger par chacun, par la société mais aussi et surtout par la puissance publique comme un fondement majeur de notre stabilité sociale. La laïcité est aussi à mettre en rapport avec la liberté des groupes et communautés notamment des minorités religieuses à vivre leur culte et à bénéficier des conditions favorables pour ce faire. Dans un pays où une religion est suivie par une majorité écrasante de la population, il est crucial de permettre à la minorité de vivre et pratiquer sa foi dans les meilleures conditions. La collaboration et les échanges entre les responsables des différentes religions faciliteront cette situation. La création par l’Etat d’espaces de collaboration et de dialogue permettra également cette ambiance positive. Nous sommes un pays où le mariage entre personnes de confessions différentes ne pose pas de difficultés et est accepté par la société. Nous sommes également un pays où la société fête indifféremment les événements majeurs de chaque religion. L’Etat dans son entièreté doit veiller à maintenir cet environnement et cette tolérance inter religieuse grandement supportée par les maliens.

L’équidistance de l’Etat vis à-vis des religions est plus difficile à définir et donc à maintenir même si, au Mali, on y arrive encore relativement bien. La question des fêtes religieuses a été évoquée précédemment. Cela est une illustration de la pratique d’une laïcité plus objective dans notre pays qu’ailleurs. L’équidistance se traduit par la séparation nécessaire entre l’Etat et les religions comme source d’inspiration ou de guide des règles de fonctionnement étatique. L’Etat est une construction humaine pour résoudre les problèmes d’ici-bas. Il est inspiré par les règles que les hommes souhaitent se donner pour fonctionner de manière efficace. Ces règles elles-mêmes sont définies dans un cadre fixé par les hommes. Il est indispensable que cela reste le cas même si, pour certains domaines, il y a des risques de collusion entre les principes religieux et les règles publiques. La laïcité est synonyme d’équidistance et de neutralité de l’Etat entre les régions. La laïcité sous-entend aussi la non gestion de la sphère étatique selon des préceptes religieux. L’Etat doit être organisé et surtout fonctionner conformément à ces principes.

Il doit les rappeler régulièrement et établir avec les religions des rapports de collaboration et de communication permettant à leurs leaders de s’inscrire dans cette optique. En posant ces principes comme des fondements de l’Etat, il sera plus facile de gérer les problématiques posées par les enjeux nationaux et internationaux de la laïcité.

ENJEUX DE LA LAICITE

La religion de plus en plus politique ou les leaders religieux plus politiciens que théologiens, le contexte international propice aux chocs plutôt qu’au dialogue ainsi que le radicalisme laïc posent chacun à leur manière des défis à relever par nos pays face à la nécessaire laïcité de l’État.

Le Mali vit pleinement dans la religion politique ou plutôt dans un environnement où les leaders religieux, conscients de leur poids et de celui des leaders politiques, pénètrent de plus en plus sur la scène politique. Il ne faut pas se leurrer, cela ne vas changer par des incantations. Ceux des politiciens qui clament haut et fort le retour des leaders religieux dans leurs mosquées, sont les premiers à aller les rencontrer nuitamment, de manière discrète, pour solliciter leur collaboration. Tant que ce jeu de dupe dure, il sera vain de faire changer cette situation. Tant que les causes profondes de l’apparition des leaders politiques sur la scène publique ne sont pas traitées, le phénomène perdurera et se renforcera comme on le constate. Ces causes sont d’abord la perte de crédibilité du leadership politique dans notre pays et ensuite la quête d’influence des leaders religieux, l’un alimentant d’ailleurs l’autre. Le malien moyen stigmatise régulièrement les carences morales, la corruption, l’inefficacité, la malhonnêteté, le peu de souci des souffrances de la population, l’enrichissement rapide et sans cause du fait de responsabilités publiques, l’inaccessibilité…comme des caractéristiques des acteurs politiques de notre pays. Les forces politiques maliennes sont de ce fait affaiblies et utilisent régulièrement la société civile, donc les organisations religieuses, pour mobiliser le peuple. Elles ont de moins en moins de militants. A l’inverse, du fait de nombreux facteurs dont la paupérisation n’est pas le moindre, les organisations religieuses se renforcent, agissent sur la vie des individus, aussi bien matériellement que spirituellement et arrivent ainsi à emporter leur adhésion. La religion politique devient ainsi la manifestation la plus flagrante de l’incurie politique dans notre pays.

Le contexte international qui se caractérise par des conflits dont certains sont directement liés à la confrontation entre les religions, créent des tensions dans nos pays. L’attitude de certaines puissances internationales, où on a l’impression que la religion, particulièrement l’islam, est plutôt devenu un bouc émissaire pour redorer le blason de politiciens en mal de crédibilité, pose aussi des problèmes dans notre pays et questionne notre laïcité. Les confrontations internationales, le terrorisme global confinent à l’affrontement religieux propice au radicalisme qui oblige les individus et les sociétés à choisir leur camp, à se radicaliser et à reporter sur le domaine public leurs frustrations issues de ces crises. Quel est le malien qui n’est pas révolté par ce qui se passe en Palestine ? Quel est le malien qui n’est pas choqué par les débats sur certaines chaines ou dans les radios internationales où on insulte la religion musulmane et son prophète

L’invocation de la laïcité à tort et à travers n’est pas de nature à servir la laïcité elle-même. Elle confine à un radicalisme laïc qui provoque quelques fois le radicalisme religieux en réaction. C’est pourquoi il convient de faire attention à l’emploi du terme et de ne le faire qu’en connaissance de cause et après avoir saisi le caractère sensible du contexte.

Ce radicalisme laïc est observé en occident et de plus en plus dans certaines couches de nos sociétés. Dans de nombreux cas, il s’agit d’une utilisation abusive de la laïcité pour combattre la religion et la réduire. Or cela est difficile voire impossible compte tenu des convictions profondes des individus et de l’implantation et de l’influence des organisations religieuses. C’est pourquoi il est vain de simplement brandir le terme sans en saisir le contenu et surtout sans l’accompagner par des actes qui permettront de faire comprendre sa portée. Il est aussi regrettable que, quelques fois, certains leaders, convaincus ou sous influence, tentent de socialiser la laïcité allant jusqu’à vouloir réglementer les recoins de la vie des individus créant le risque de confrontation avec les préceptes religieux. Cette situation a été constatée à l’occasion des débats sur le code des personnes et de la famille. Elle s’illustre aujourd’hui par les initiatives et actions contre l’excision. Quand les individus sont persuadés de la justification religieuse de pratiques, il est vain de vouloir changer leur avis par une Loi ou un texte public. La foi conditionne l’existence pour certains citoyens, elle est au-dessus des règles publiques pour d’autres. Quand elle entre en conflit avec l’État, le choix est vite fait par eux, au dépend de l’État. L’État qui est une création de la société doit s’adapter aux contingences de cette dernière ou les faire évoluer compte tenu des nécessités temporelles. Mais, il ne peut et ne doit vouloir s’affranchir de celles-ci, au risque de se voir rappeler violement à l’ordre, comme cela fut le cas par le passé. Cela a d’ailleurs été très bien compris et est très bien appliqué par les États européens, qui sont pourtant ceux qui évoquent le plus de laïcité en ce moment. Ces États intègrent plus ou moins les réalités religieuses, celles auxquelles adhérent leur peuple dont ils comprennent bien la primauté. Les partis d’obédience chrétienne explicite, les prestations de serments sur la bible, l’observation des jours fériés religieux, la condamnation du blasphème dans le code pénal allemand ou encore les récitations de psaumes par les écoliers danois dans les écoles publiques de ce pays sont quelques preuves, parmi tant d’autres, que la laïcité de ces États est souvent bien relative.

PISTES VERS UNE LAICITE BIEN COMPRISE

Il nous est indispensable de définir notre propre voie de la laïcité. Quand des réalités concernent la société, l’État a l’obligation de composer avec elles, travailler avec elles, négocier avec elles et espérer les faire évoluer dans le sens de l’intérêt public. Il n’a pas à vouloir s’imposer car Il n’y arrivera pas. Nous devons engager des changements dans de nombreux domaines pour traiter au mieux les rapports État-religion-société au mieux de nos intérêts.

Le leadership, notamment le leadership politique doit évoluer. Nous devons travailler à obtenir des leaders vertueux, consciencieux, exemplaires, travaillant dans l’intérêt collectif, au service de leurs mandants. Des leaders de ce type seront soutenus par les populations, quel que soit leurs convictions religieuses. Le malien cherche un leader qui résout ses problèmes, que ce leader soit barbu ou non ! Le malien est à la quête d’un leader qui l’écoute, qui ne vole pas, qui ne ment pas, qui le sécurise, le soigne, l’aide à trouver un emploi, que ce leader fréquente la mosquée ou pas lui est secondaire !

Les politiciens doivent en prendre de la graine et exercer leurs responsabilités dans le cadre de la promotion de la vertu, du respect des règles et de la quête absolue du bien-être des populations.

Notre leadership doit également s’inscrire dans la promotion de la bonne compréhension des religions, expliquer la religion, faciliter les débats vers la connaissance des religions.

Cela contribuera à faire en sorte que les citoyens sachent que la religion est aussi un facteur de stabilité si elle est comprise. Seule la religion bien comprise permettra de lutter efficacement contre l’intégrisme religieux et les intolérances religieuses. En se fermant à la religion, on détourne son regard sur elle et on la confine dans un espace qui facilitera la radicalisation et, à terme, la violence. En lui donnant des espaces d’expression et des occasions aux citoyens d’en comprendre tous les sens, on créera les conditions de dialogue, de débats, de discussions qui favoriseront la bonne compréhension de la religion et en même temps dissipera les tensions nées de l’incompréhension, de la méconnaissance et des rapports conflictuels. Il faut une forte implication de l’État mais aussi des collectivités territoriales pour engager une vaste action vers la bonne compréhension des religions et du dialogue inter religieux, dans le cadre d’une laïcité dont les contours sont à définir autour des principes intangibles rappelés précédemment.

Les pouvoirs publics doivent engager des réflexions, auxquelles il faut associer les organisations religieuses, pour fixer une bonne limite entre le domaine public et le domaine privé et maintenir un cadre de dialogue et de discussion permettant d’évacuer tous les domaines de tension. En définissant clairement la sphère publique où les règles étatiques régenteront l’essentiel du fonctionnement et le domaine privé d’expression de la foi et des croyances, on met en place un cadre qui limitera les chocs. En mettant en place un processus de dialogue permanent entre les acteurs (États, acteurs religieux, société civile), on crée les conditions pour anticiper et négocier au mieux les chocs, quand ils surviendront. Le Ministère en charge du culte doit s’engager sur ces chantiers et donner un contenu à son action à travers eux. Il doit aussi réfléchir à mettre en place rapidement un cadre réglementaire qui établit le statut des leaders religieux (imams, prêtres, prêcheurs…) qui doit être impérativement défini dans un pays comme le nôtre. Cela participe aussi de l’implication nécessaire de l’État dans les questions sociales et religieuses pour veiller à ce qu’elles puissent être des facteurs d’harmonie et non des cadres de conflits. Plus que jamais l’État doit sortir de sa léthargie face à la religion, la considérer comme une donne incontournable et un facteur d’harmonie sociale. Donc une chance plutôt qu’une menace !

La société malienne est laïque, tolérante, ouverte mais elle a des valeurs qu’il faut savoir préserver. L’État doit travailler avec cette réalité et l’utiliser comme un facteur d’intégration et de progrès. La religion n’est pas mortifère, elle est hautement bénéfique si on la comprend. Il nous faut intégrer cette donne et la mettre à notre profit de manière intelligente. Nous devons, pour ce faire, savoir nous mettre en marge des combats qui ne sont pas les nôtres et orienter nos actions en fonction de nos intérêts, de nos réalités, de nos ambitions collectives et informer suffisamment nos populations pour qu’elles y prennent part.

Moussa MARA

 

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