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Mali : la résistance d’une Nation

Mali : la résistance d’une Nation

Au Mali, l’histoire s’accélère et le ciel s’éclaircit. L’insensé attelage que la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’entête depuis 2012 à mettre en place pour conduire l’Etat malien a pris fin, cette fois-ci du fait des Maliens eux-mêmes. Un triumvirat dont les contours de prérogatives sont plus que flous, créé au mépris de la Constitution du pays pour soi-disant « le retour à une vie constitutionnelle normale » n’a d’autre objectif que la perte pour les Maliens du contrôle de leurs conditions de vie.

L’expérience de la transition de 2012-13 où la création de postes non constitutionnels (ceux de « Président par intérim » et de « Premier ministre avec pleins pouvoirs ») a créé une incompréhension totale entre les membres du triumvirat (Dioncounda Traoré, Cheick Modibo Diarra et Amadou Aya Sanogo) qui s’est terminée par une tragi-comédie faisant du Mali la risée du monde.

Le colonel Assimi Goita et « ses compagnons » n’ont pas laissé se répéter un tel scénario. Ils ont mis fin à un triumvirat dont les membres n’avaient pas les mêmes ambitions pour le Mali et n’avaient pas la même conception des intérêts de notre pays.

L’intervention de la CEDEAO dans les conflits politiques internes aux Etats membres : en pleine illégitimité et illégalité.

De quelle légitimité la CEDEAO se réclame pour exercer un tel pouvoir sur ses Etats membres. Ce sont les chefs d’Etat de l’organisation qui ont décidé de donner à la CEDEAO cette fonction de prendre des sanctions contre les pays où il y a coup d’Etat et donc d’intervenir dans les conflits politiques internes aux Etats membres. Ils ont appelé cette clause « Protocole additionnel relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance » (10 décembre 1999) et qui va évoluer par la suite. Aucun peuple de la sous-région n’a été consulté. Pourtant, le Président Félix Houphouët Boigny, n’a pas cessé de mettre en garde ses homologues : la CEDEAO est une organisation de coopération économique et n’a pas pour vocation d’intervenir dans les conflits politiques internes. « Au lieu de régler ces conflits, vous risquez de les aggraver et de déclencher dans ces pays, des guerres civiles aux conséquences désastreuses », disait le président ivoirien à la dernière rencontre de la CEDEAO à laquelle il a participé, à Dakar en 1993.

Nous devons reconnaitre à notre grande honte que le président du Mali de l’époque, le Président Alpha Oumar Konaré, a été un artisan acharné de ce Protocole de la CEDEAO et que c’est le Mali qui, le premier, a demandé que les sanctions soient prises contre le Niger suite au coup d’Etat de Barré Maïnassara. Nous savons ce que la peur obsessionnelle des coups d’Etat du Président Konaré nous a apporté : le démantèlement de l’armée malienne à un moment où les feux de la rébellion armée n’étaient pas entièrement éteints.

Ce qu’il faut retenir c’est que la CEDEAO n’a aucune légitimité à intervenir ainsi dans la vie de ses Etats membres. Les « solutions » qu’elle préconise aux crises internes sont bien souvent en flagrante violation de la Constitution de ces pays. Elle n’hésite pas à se servir de certaines autres organisations comme l’Union Economique et Monétaire des  Etats d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) pour renforcer ses sanctions : seul le Président de Guinée Bissau a protesté contre l’utilisation par la CEDEAO de l’UEMOA pour renforcer les sanctions financières contre le Mali.

Nos peuples doivent savoir que la CEDEAO n’a aucune légitimité pour intervenir ainsi dans nos pays et que les actions qu’elle y entreprend sont la plupart du temps illégales au regard de nos textes. En se transformant en syndicat des chefs d’Etat, la CEDEAO risque de détruire le travail remarquable qu’elle avait réussi à faire en matière d’intégration économique des pays de la sous-région.

Il devient urgent pour nos peuples de mettre fin à ces actes (fermeture de nos frontières, sanctions financières, etc.) pris de façon illégale dans le but de nous soumettre à des puissances étrangères.

Mali : les défis du développement d’une Nation.

Un jour de 2006, en conversation privée avec Ahmedou Ould Abdallah, ancien diplomate mauritanien, alors Représentant du Secrétaire Général des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest, ce dernier m’affirmait « Le Mali est un des rares pays d’Afrique de l’Ouest à être une Nation au moment des indépendances ».

A y regarder de près, il s’agit là d’une réalité indéniable :

  • Les frontières du Mali actuel ont été tracées au cœur même des trois grands empires de l’ouest africain. Les communautés maliennes d’aujourd’hui ont eu un destin commun pendant des siècles ; sous la houlette d’institutions fortes et partageant les mêmes grandes valeurs humaines.
  • La résistance à la colonisation française a été tellement intense dans ces territoires que ce que le colonisateur a appelé la « campagne de pacification »  n’a pris fin qu’en 1917 : le Mali alors appelé « Soudan français » est le pays où la domination coloniale a duré le moins de temps en Afrique de l’Ouest (moins de 50 ans alors qu’elle a duré 500 ans dans certains autres pays de la sous-région) ;
  • Il ne faut pas oublier que même les communautés touarègues, dont une partie est entrée en rébellion contre l’Etat malien, ont refusé au moment de l’indépendance de s’associer au projet français de création de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS).

Pendant des siècles, ces communautés ont vécu ensemble les moments de prospérité des grands empires mais aussi les moments de difficultés, les sècheresses cycliques et les famines récurrentes, ainsi que les résistances aux invasions. Ces communautés ont aussi su gérer leurs conflits internes parce qu’elles partageaient la même patrie. Elles se sont mariées entre elles et bâti ensemble des institutions et des règles leur permettant de gérer sur le long terme leur vie en commun.

Beaucoup de Maliens n’ont, cependant, pas conscience que le Mali constitue une Nation, en tout cas ils ne parlent pas de « Nation malienne ». C’est parce que certains confondent « Nation » et « Peuple » alors que la notion de « peuple » ne fait allusion à aucune forme d’organisation politique. D’autres confondent « Nation » et « Etat » alors que la notion d’Etat ne fait aucune allusion aux communautés humaines. Certains autres, appartenant surtout à la classe politique, ne croient pas du tout à l’existence de la Nation malienne et parlent « d’Etat-nation » c’est-à-dire qu’ils se donnent le rôle d’utiliser l’Etat pour créer cette nation, suivant leurs intérêts propres ou selon leur vision idéologique de notre pays.

Une Nation est l’ensemble des communautés humaines qui, sur un territoire donné, ont choisi librement de se donner un destin commun. Ces communautés, qui constituent aux yeux de certains un seul peuple, se donnent des institutions dont l’Etat, pour atteindre leurs objectifs. L’Etat n’est donc pas la seule institution dont le peuple se sert, même s’il est celui qui a le plus de moyens d’agir. Il se doit d’être au service du peuple et sous le contrôle de la Nation.

La situation contraire provient de l’enflure du pouvoir d’Etat qui, comme toute autre institution, pense, dès sa mise en place,  à sa propre reproduction suivant les intérêts matériels ou idéologiques de la minorité qui a en charge le fonctionnement de l’institution. L’Etat se transforme en sur-pouvoir et finit par bander ses muscles contre le peuple qui l’a mis en place : les Bamanans disent alors que, de ton urine, est sorti un caïman qui prétend te croquer.

Les Maliens ont laissé une telle situation se développer pendant toutes ces années et aujourd’hui certains parlent de « refondation de l’Etat » là où il faut parler de détricoter le sur-pouvoir de l’Etat. Nos ancêtres savaient prévenir une telle situation par le partage des pouvoirs entre différentes institutions et la séparation des rôles des différentes composantes d’une institution.

Que faire pour redresser la Transition ?

Il faut se focaliser sur les points pour lesquels les gens sont descendus massivement dans la rue. Ils ont protesté contre la situation sécuritaire précaire et les solutions envisagées pour y remédier (notamment la présence de troupes étrangères dans notre pays) ; ils ont déploré les mauvaises conditions de vie de la majorité de notre peuple et les risques de conflits armés intra et inter communautaires, conséquences de la paupérisation croissante des populations ; ils ont dénoncé le sur-pouvoir dont jouit l’Exécutif et l’impossibilité d’avoir une autre politique par des moyens démocratiques ; ils ont aussi dénoncé la mauvaise gestion des biens communs (publics et communautaires) et l’impunité assurée aux « délinquants à col blanc » ; ils se sont élevés contre l’Accord d’Alger et contre son prolongement dans une politique de régionalisation qui, à cause des prérogatives régaliennes accordées aux régions, va aboutir au démantèlement de notre Nation ; ils souhaitent une nouvelle Constitution qui soit la codification d’un nouveau projet de société consensuel et d’un nouveau pacte social entre les différentes communautés du pays.

Les problèmes sont donc nombreux mais ils sont aussi complexes.

Prenons le cas de l’élaboration d’une politique de développement qui s’inscrive dans notre nouveau projet de société consensuel. La grande majorité du peuple malien rejette le programme de la démocratie libérale que soutiennent nos « partenaires techniques et financiers » occidentaux et qui prône la centralité de l’individu, de la propriété privée et de la logique de marché (le profit avant tout). Les Maliens sont dans l’affirmation têtue de la famille, d’une forme de « propriété » plutôt proche de la « possession collective », de l’autosubsistance.

Dans ce conflit, il n’est pas sûr que ce modèle occidental s’impose : « Nos projets au Mali sont d’obédience libérale ; or le Mali est très peu libéral » constatait avec amertume mais dans un élan de pleine lucidité, un diplomate européen

D’autre part, pour écarter les risques de guerre civile et permettre la mise en place d’un nouveau pacte entre les communautés rurales, il faut une politique foncière équitable qui, elle-même va reposer sur une politique de développement performante mais réaliste et réalisable. Certains ministres en charge de la « politique foncière » sous le régime du Président Ibrahim Boubacar Keita, de véritables Tartarin de Tarascon (beaucoup de prétentions et d’arrogance, peu de connaissances et encore moins d’intégrité dans la gestion du patrimoine commun) ont fini de nous convaincre qu’il faut repenser la question foncière au Mali pour trouver des solutions adéquates aux conflits répétés sur la gestion de la terre et des ressources naturelles.

C’est suite à ces accords que nous pourrons élaborer une Constitution qui prenne en compte les questions qui préoccupent véritablement notre peuple, et qui ait donc une chance de durer.

Pour terminer, il faut dire que tout le monde s’accorde à affirmer que la Transition est une période exceptionnelle mais peu réalisent que, malgré sa courte durée, le challenge qu’elle doit relever est double : mettre fin aux pratiques de mauvaise gestion des institutions et des ressources et assurer la mise en place d’institutions légitimes et soucieuses du respect de la légalité.

Le pari est grand mais il est tenable si le nouveau chef de l’Etat parvient à mobiliser les savoirs et savoir-faire du peuple malien. Il a besoin pour cela de montrer rapidement qu’il ne s’agit pas pour notre pays d’un régime militaire de plus. Il a besoin pour mobiliser les forces vives du Mali de prendre des mesures à la fois impressionnantes et bien pensées : par exemple la réduction du train de vie de l’Etat, la récupération des biens du pays auprès des prédateurs qui ont pillé notre peuple et la fin de l’impunité. Un tel début pourrait permettre aujourd’hui de mobiliser de nombreux sceptiques dont les talents sont jusqu’ici inexploités.

Professeur Chéibane COULIBALY

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